RnD Café ☕️ – #411
15 novembre 2025
Au sommaire cette semaine
- Le grand écart : 88 % d’adoption mais 7 % d’industrialisation réelle
- La régulation hésite : fragmentation juridique UK vs Allemagne + AI Act en sursis.
- Les métiers juniors disparaissent, les services full-stack explosent (Y Combinator change de cible)
- L’Europe en crise : dépendante des USA et dépassée par la Chine
- Google Asset Studio, FEVAD Ecommerce, et 3 autres signaux faibles à avoir en ligne de mire
👉 À écouter et à voir. Version audio RnD Expresso et slides NotebookLM (toujours aussi efficace)


Le grand écart
88% d’adoption, 7% de transformation réelle
Voilà la statistique qui résume selon McKinsey l’état de l’IA dans les organisations en cette fin 2025. Sévère diagnostic donc. On l’utilise mais de manière vraiment efficace ?
On peut aussi affiner la lecture et indiquer que c’est bien le propre de l’adoption : on apprend, on tâtonne et peu à peu on met en place vraiment.

Mais effectivement, l’étude dit une chose simple : nous avons collectivement confondu essayer avec déployer.
Entre 62 et 66% des entreprises qui utilisent l’IA restent bloquées en phase pilote ou expérimentation. C’est-à-dire qu’elles ont ouvert ChatGPT dans le navigateur, ont joué quelques jours, et puis… rien. Le pilote dort sur l’étagère, au même titre que le dernier outil de gestion projet que personne n’utilise.
Ce qui est intéressant à fouiller c’est le « où est-ce que cela bloque vraiment ? ».
Parce que l’adoption n’est jamais uniforme. Et une étude Dayforce de l’été dernier l’a bien mis en lumière : 87% des cadres dirigeants utilisent l’IA, contre 57% des managers et seulement 27% des collaborateurs. C’est un fossé hiérarchique important. Les dirigeants l’utilisent. Les équipes, elles, ne savent pas trop comment s’en servir, ou pire, ne voient pas comment cela s’applique à leur quotidien.
Le problème ? Créer une résistance souterraine sans le dire. Les équipes métiers sont-elles prises en sandwich ? Le manager doit montrer qu’il adopte l’IA, mais il doit aussi livrer en temps et en heure. Donc il demande à l’équipe de faire plus vite… avec les mêmes outils. L’IA devient une injonction venue d’en haut, pas une opportunité venue du terrain.
Où l’on reparle de Empathy AI.
Mais ce qui frappe davantage, c’est comment les entreprises que McKinsey appelle les « high performers » — celles qui réussissent vraiment — se distinguent.
Elles font trois choses :
- Premièrement, elles ne déploient pas l’IA en mode « on ajoute un plugin à ce qu’on faisait avant ». Non, elles redessinent complètement leurs processus. 55% d’entre elles le font, contre 20% pour les autres. C’est énorme comme différence.
- Deuxièmement, elles ne cherchent pas juste à réduire les coûts — elles cherchent à créer de la croissance, de l’innovation, des nouveaux trucs.
- Et troisièmement, leurs dirigeants utilisent eux-mêmes l’IA comme un vrai outil du quotidien. Et quand le dirigeant fait cela, les chances de passer à l’échelle sont trois fois plus élevées.
En clair : l’IA ne se déploie pas, elle transforme. Et cette transformation ne vient pas d’une décision du board ni d’un budget alloué. Elle vient de la volonté de repenser en profondeur la façon de procéder.
GRAND SUJET 1 : La Régulation tousse ? Fragmentation Juridique et AI Act en Sursis ?
Pendant que tout le monde parle de l’IA qui va changer le monde, le contour juridique qui était censé encadrer tout cela se met à hésiter…
Et évidemment, ça complexifie l’anticipation et la prise de décision.
Le Problème Central : Deux décisions judiciaires la semaine dernière, issues de deux pays européens voisins, créent une incertitude juridique massive sur la légalité d’entraîner des modèles IA sur des œuvres protégées par le droit d’auteur.
Cas 1 — Londres (strict) : La Cour britannique a jugé que l’utilisation d’un modèle IA sur des œuvres protégées ne constitue pas une reproduction illicite. Elle n’a pas statué sur l’entrainement (hors du territoire anglais). Position beaucoup plus favorable aux modèles d’intelligence artificielle.
Cas 2 — Munich (flou) : Le Tribunal allemand défend une vision large de la notion de copie. La mémorisation des paroles de chansons dans les poids du modèle est considérée comme une reproduction au sens du droit d’auteur allemand. L’exception pour fouilles de textes et de données (text and data mining) est jugée inapplicable car elle couvre l’analyse… pas la mémorisation durable. Position très protectrice pour les ayants droit.
Conséquence : une insécurité juridique majeure, car deux juridictions proches arrivent à des conclusions opposées. C’est désormais la Cour de justice de l’Union européenne qui devra trancher en 2025 et définir une ligne commune, en particulier sur la distinction entre analyse (autorisée) et mémorisation durable (potentiellement illicite). Selon l’orientation choisie, le cadre européen pourrait soit faciliter l’usage généralisé de l’intelligence artificielle, soit imposer une révision profonde des pratiques d’entraînement, de licences et de gouvernance des modèles.
À cela, rajoutons comme nous l’évoquions la semaine dernière que l’AI Act subit des attaques. Sous la pression des États-Unis et du lobbying Big Tech, Bruxelles prépare à reporter d’un an l’application des règles pour les systèmes « à haut risque ». Les amendes elles-mêmes pourraient être repoussées jusqu’en 2027. Une enquête de Corporate Europe Observatory a révélé que les Big Tech ont massivement influencé la rédaction du code de bonnes pratiques, marginalisant la société civile. Vu chez Cyrille Chaudoit.

L’impact premier de l’AI Act dans nos métiers concerne les applications RH. Résumé ici.
Surveillez donc la possible évolution du calendrier.

GRAND SUJET 2 : Restructuration des emplois et changement des Business Models
À nouveau beaucoup de signaux cette semaine sur l’IA qui détruit les postes juniors mais également qui restructure des emplois.
Première Partie : L’Effondrement des Métiers d’Exécution
Les chiffres d’abord. Une analyse de 180 millions d’annonces d’emploi entre janvier 2023 et octobre 2025 montre une contraction brutale des postes où l’exécution est standardisable :
- Infographistes et VFX-3D : -33% d’offres d’emploi
- Photographes : -28%
- Rédacteurs (copywriting, content mills) : -28%

Ce n’est pas la disparition totale du secteur. C’est la disparition des postes juniors : un junior en infographie reçoit un brief et livre de l’exécution. « Fais-moi un visuel sur ce sujet, avec ces couleurs. » Midjourney ou Grok Aurora le font en 30 secondes pour 1$ par mois, avec une qualité souvent suffisante.
Mais les postes de direction créative (directeurs de création, créatifs seniors, art directors) ? Ceux qui décident de l’angle, qui valident l’exécution, qui posent les vraies questions au client ? Ceux-là résistent. Pourquoi ? Parce qu’ils font de la stratégie, pas de l’exécution. A lire chez Arnaud Templier.
Deuxième Partie : L’Émergence des « Full-Stack Services Companies »
Ici, le virage est aussi à surveiller. Y Combinator, l’incubateur le plus influent au monde, signale un changement majeur. Jared Friedman, associé chez YC, vient de publier une priorité claire : l’incubateur cherche maintenant à financer des « full-stack AI companies », pas des SaaS génériques.
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Au lieu de vendre un outil IA aux cabinets juridiques, vous créez votre cabinet juridique staffé d’agents IA et vous rendez les anciens cabinets obsolètes. Au lieu de créer un SaaS de vidéo IA, vous créez un service de production vidéo full-stack où vous employez des agents IA et vous entrez directement en compétition avec les agences traditionnelles. C’est la vraie disruption.
Pourquoi ce changement ?
Parce qu’un outil SaaS d’IA généraliste, c’est déjà résolu par ChatGPT ou Claude. Ce qui crée de la valeur maintenant, c’est de prendre un service entièrement existant — et le réinventer de A à Z autour de l’IA et des agents.
Troisième Partie : Le Risque Caché : L’Idéologie du « Travail Sans Effort »
Mais il y a un piège latent. L’idéologie du « travail sans effort » peut créer une génération de gens qui utilisent l’IA sans jamais avoir forgé les compétences fondamentales. Quand l’IA produit un contenu ni fait ni à faire, ils ne sauront pas la corriger. La vraie compétence — celle qui vient de l’effort, de la pratique, de l’erreur — est celle qui devient rare et précieuse. C’est ce que décrit Tariq Krim dans son article.
Un designer junior qui utilise Midjourney pour explorer 50 concepts en 2 heures, c’est puissant. Un designer junior réduit à coller du Midjourney sans maîtriser les fondamentaux, c’est du désapprentissage structurel.
GRAND SUJET 3 : Europe en Danger : Entre Dépendance Américaine et Dépassement Chinois
Plusieurs voix cette semaine ont (encore) tiré la sonnette d’alarme.
Il y a un moment où il faut regarder la carte en face. Et en fin 2025, la carte dit quelque chose de cru : l’Europe est en train de devenir une colonie numérique.
Encore selon Tariq Krim, mais cette fois-ci au WebSummit, la nouvelle « monnaie » géopolitique en 2025, c’est le « Cloud Capital » — composé de trois choses : les logiciels propriétaires, la puissance de calcul, et les données.
Et seulement deux pays sont « cloud positive » (producteurs nets) : les États-Unis et la Chine. Le reste du monde loue cette infrastructure. La France loue. L’Allemagne loue. Les entreprises loueuses doivent accepter les conditions de ceux qui contrôlent. Et cela, ce n’est pas rien.

Jean-Marc Jancovici va plus loin : il pointe que même des fonctions régaliennes — comme la collecte d’impôts en France — dépendent entièrement d’infrastructure technologique américaine. Si un embargo frappe ces technologies, la France ne peut littéralement plus collecter de revenus. C’est la situation présente.
Mise en Perspective : Le Cloud Sovereignty Framework européen (annoncé en 2024) est censé répondre à cela. Mais les experts pointent qu’il crée de la « souveraineté de façade » — on crée des data centers locaux, mais on dépend toujours des processeurs fabriqués par TSMC (Taïwan) ou Intel et Nvidia (USA), des logiciels écrits en Californie, et des lois américaines (CLOUD Act, FISA 702). Ce n’est pas de la souveraineté.
Et pendant ce temps, la Chine avance à grande vitesse. Le modèle open-source Kimi K2 a été présenté en novembre 2025 avec des performances rivalisant avec les meilleurs modèles américains (GPT-4, Claude Opus) — pour un coût d’entraînement radicalement inférieur. 4,6 millions de dollars contre 100 millions pour GPT-4. Et quand Kimi K2 a été annoncé (fin octobre), cela a provoqué une chute de 1000 milliards de dollars au Nasdaq. A lire ici.
Cela crée un dilemme pour l’Europe : d’un côté, nous sommes dominés par les USA et leurs modèles propriétaires. De l’autre, la Chine fait des modèles open-source massifs, hyper-efficaces, et qui ne demandent pas d’allégeance géopolitique. Ce n’est peut-être pas plus rassurant, mais c’est une autre équation.
Le Cas Chinois : Kimi K2 n’est pas un modèle secret gardé dans des serveurs chinois. C’est un modèle open-source. Les chercheurs européens et américains peuvent le télécharger, l’auditer, l’adapter. C’est une forme de domination différente : plutôt que l’enfermement (modèles propriétaires), c’est l’inondation (la technologie est partout).
Même si, comme d’habitude, il faut une attention à l’analyse des biais. Dit autrement : comment l’IA a-t-elle été entraînée ?
Le Cas Européen : L’Europe réagit avec la régulation (AI Act) et les subventions (fonds pour Mistral, Aleph Alpha, etc.), mais sans vraiment adresser le problème du Cloud Capital. C’est comme réguler les routes sans posséder les véhicules — le pouvoir reste ailleurs.
Brèves et Tips de la semaine – La sélection RnD Café
1. Google Asset Studio lance la génération d’annonces visuelles automatisées
Google vient de lancer Asset Studio, un générateur d’annonces visuelles basé sur ses nouveaux modèles d’image. Il crée, édite et synchronise des assets publicitaires prêts à diffuser, avec une bibliothèque centralisée pour faciliter les tests A/B. C’est un pas majeur pour accélérer les cycles créatifs publicitaires.
Et donc ? Les temps de production des créations publicitaires vont drastiquement diminuer. Sur le paid media (Google Ads, Facebook, etc.), intégrer Asset Studio dans un workflow va changer le jeu, vite. Très vite. Souvenez-vous de l’étude partagée ici la semaine dernière : En deux mots : les publicités créées de zéro par l’IA surpassent les créations humaines de 19% en taux de clic.
2. FEVAD : L’E-Commerce, l’hyper personnalisation, la concentration
L’étude FEVAD-KPMG de novembre 2025 révèle que l’hyper-personnalisation est devenue un facteur de survie dans l’e-commerce français. Les sites sans stratégie de personnalisation (recommandations, segmentation, contenu dynamique) perdent massivement face aux acteurs agiles. Le classement des sites e-commerce les plus visités au T3 2025 montre également une accélération de la concentration : les 5 premiers sites contrôlent désormais 42% du trafic français.
Encore un sujet où la Chine est bien présente avec Shein (entre autres) qui continue à monter dans le classement : 6ème (+2 places).

3. Gen Z : la recherche change de moteur
60% des 18-24 ans privilégient désormais TikTok, YouTube et l’IA pour s’informer, contre seulement 21% pour les Gen X. ChatGPT domine (83%), mais Gemini (25%) et Meta AI (19%) progressent rapidement. 30% des Français envisagent de préférer l’IA pour leurs recherches à court terme.
Source CB News vue chez Matthieu Crucq.

4. Yann LeCun quitterait Meta : Une Rupture Technologique Majeure
Selon le Financial Times, Yann LeCun, le chercheur le plus prestigieux de Meta (Pionnier du deep learning, Turing Award), s’apprêterait à quitter l’entreprise pour créer sa propre société. Son désaccord ? La stratégie de « scaling law » (plus de données et de calcul = meilleure IA) ne mène nulle part. Il promeut les « modèles du monde » (JEPA – Joint Embedding Predictive Architecture) qui apprennent à partir de vidéo et de données sensorielles pour modéliser le réel et comprendre la causalité.
Et donc ? La bataille entre LLM vs. modèles du monde va structurer la R&D des 5 prochaines années. Les entreprises qui parient uniquement sur les LLM risquent de passer à côté d’une nouvelle génération d’IA « incarnée », capable de planifier et d’agir dans le monde physique. Ecoutez son explication en 1 minute. Très clair.
5. L’IA Devient une Arme de Cyber-espionnage d’État
Septembre 2025 : première campagne d’attaque cyber sophistiquée utilisant des agents IA pour automatiser 80-90% d’une intrusion (reconnaissance, exploitation, exfiltration). Attribuée à un groupe étatique chinois. Jusqu’à présent, on parlait d’IA comme menace théorique. Là, elle devient opérationnelle et géopolitique.
6. L’Empoisonnement des Modèles IA (« AI Poisoning ») est Maintenant Viable
Une étude montre que 250 fichiers piégés suffisent à contaminer un modèle complet. Les données injectées mènent à des décisions biaisées, une perte de confiance et une atteinte majeure à la réputation. Les systèmes RAG (retrieval-augmented generation) sont particulièrement vulnérables. C’est une nouvelle surface d’attaque critique.
Et donc ? Les données de training deviennent une infrastructure critique à protéger comme des serveurs.
7. ElevenLabs Scribe v2 : transcription sans latence
ElevenLabs lance Scribe v2 Realtime : transcription en temps réel (< 50ms), séparation automatique des locuteurs, compréhension contextuelle. Démo ici.
Conséquence : Les outils traditionnels sont obsolètes. Réunions, podcasts, calls : tout se transcrit instant.
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